LES TROUBLES PSYCHOLOGIQUES
DANS LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION

Carnet de lecture :
Divertir pour dominer – La culture de masse contre les peuples

Tomes 1 et 2, Éditions l’Échappée, Montreuil

Ces deux opus publiés à quasiment dix ans d’intervalle, en 2010 et 2019, s’attachent à dénoncer la perte de liberté des individus dans la société actuelle, dominée par la consommation. Ils dénoncent également les troubles psychologiques importants suscités  par le mode de vie dans cette société.

Ils sont constitués de recueils d’article rédigés par différents auteurs, portant sur différents phénomènes sociaux attachés aux sociétés occidentales contemporaines : les écrans, la publicité, le sport, le tourisme, les séries télévisées, les jeux vidéo, le consumérisme, les arts, les cultures des extrêmes dans le porno ou les films d’horreur, les rencontres sur internet, l’utilisation des réseaux sociaux.

L’analyse de ces phénomènes sociaux converge vers des conclusions similaires.

LE CONSUMÉRISME OMNIPRÉSENT

un centre commercial voué à la consommation

Un centre commercial. La consommation est devenue une activité de loisir populaire.

La consommation est devenue un mode de vie en soi. On consomme de tout et la consommation va jusqu’à s’emparer de ce qui a priori n’est pas réductible à un objet mais se rapporte au domaine de la sphère intime du sujet. A cet égard, l’utilisation des réseaux sociaux pour rencontrer un partenaire sexuel ou sentimental est particulièrement significative : on définit des critères de recherche sur un catalogue, on consomme et on jette, ce type de rencontres débouchant rarement sur une relation stable et durable. Dans les réseaux sociaux, on se fait soi-même objet de consommation, en se créant une image attractive. On existe via le succès que rencontre notre image. Plus pervers, tout ce qui tente de construire une pensée alternative ou un mode de vie alternatif, par exemple des aliments biologiques, ou les vêtements fabriqués avec des matières écologiques, est aussitôt récupéré pour en faire un secteur de consommation lucratif par les industries marketing. Il est existe une niche pour les consommateurs de quelque idéologie qu’elle soit, y compris les idéologies qui s’opposent au système consumériste ! Ces niches de produits de consommation sont présentées comme représentant le désir du sujet. Il s’agit d’une alternative qui donne bonne conscience, tout en permettant de ne pas sortir du système.

Il existe plusieurs phénomènes corrélatifs au consumérisme.

LA DESTRUCTION

Téléphone mobile Apple

Les consommateurs achètent régulièrement de nouveaux téléphones mobiles qui se modernisent sans cesse.

Dans le Petit Robert, on lit que « consommer » signifie au 16ème siècle : « amener une chose à sa destruction en utilisant sa substance ». L’étendue infinie des offres dans tous les secteurs, constitue une stimulation permanente qui incite le consommateur à «consumer » toujours plus. Comme il n’est pas possible de tout consommer en même temps, celui-ci est conduit à s’intéresser à un objet, puis à le délaisser très vite, pour autant qu’il est séduit par un autre objet qui constitue un point d’attractivité. Et ceci, on le répète, concerne également les relations affectives, sentimentales, pour lesquelles un engagement sur la durée devient de plus en plus difficile. L’objet qui constitue le point de mirage de la visée du désir, une fois approché, est dessaisi de l’illusion qui le projetait en tant que propre à assouvir le désir. Après la déception qui accompagne la chute de l’illusion, la stimulation est telle, que le désir se reporte aussitôt sur un autre objet, où se jouera la même opération. A l’horizon du mirage, vacillante dans le désert comme dans un tableau de Dali, on peut imaginer un crâne représentant la vanité des occupations humaines, dont la mort clôturera le destin de façon certaine.

LA VITESSE

Un lieu de passage urbain

Les personnes circulent rapidement dans les zones urbaines.

La quête d’objet, est relancée sans cesse, après chaque déception. La personne est vouée à une course harassante, où elle s’épuisera jusqu’à la mort. Les gens courent pour travailler, pour gagner plus d’argent, pour consommer plus. C’est également l’ère du zapping de la pensée : sur les réseaux sociaux, sur internet, on passe d’une thématique à une autre très rapidement. Il devient rare de se concentrer longuement sur une idée. La vitesse est un mode de vie imposé aux sociétés occidentales, qui empêche de trouver le temps de penser, de se penser, et de trouver un mode de vie qui nous corresponde. Cela a des conséquences immédiates néfastes sur la santé : stress, fatigue, agressivité, épuisement nerveux, baisse des défenses immunitaires, maladies psychosomatiques diverses…

L’INJONCTION AU PLAISIR INDIVIDUEL

Le consumérisme place l’hédonisme, ou principe de plaisir, comme visée principale du désir de l’être humain, au détriment d’une recherche de sens à son existence. Le mécanisme infantile de satisfaction immédiate des pulsions est encouragé, au détriment d’une recherche à long terme d’une satisfaction qui fasse sens. Il vise une satisfaction égoïste des besoins, au détriment du vivre ensemble.

Choix de parfums de glace

Le nombre très élevé de produits en vente donne une illusion de liberté.

LA CONFUSION ENTRE
LA LIBERTÉ ET LE CHOIX

L’individu a l’illusion d’être libre car il a une grande offre de choix, mais au fond, il n’est pas libre car il se réalise en fonction de valeurs sociales auxquelles il se conforme.

DIVERTISSEMENT OMNIPRÉSENT

Le divertissement vient combler le vide de sens. L’individu est sans cesse sollicité pour se divertir et se distraire lors de ses temps libres : jeux vidéo, séries, shopping, réseaux sociaux. « Divertir » est issu du latin « détourner ». « Distraire » est issu de l’ancien français « tirer en sens divers ». Le sujet est invité à se détourner de son désir singulier. Il est stimulé de toutes parts par des objets qui le décentrent. Il s’agite en tous sens, corps et esprit. Il est sans cesse hors de lui. Il n’a jamais le loisir de se reposer, rester tranquille. De se sentir être, dans le présent, de s’incarner. De penser, rêver. Lorsqu’il arrête les stimulations, il se sent confronté à un vide interne de façon angoissante, qu’il va chercher à compenser par de nouvelles sensations. Il existe une addiction aux sensations qui apportent de moins en moins de plaisir. De ce fait, sont recherchées des sensations de plus en plus fortes, qui passent par la violence, le sexe, l’horreur, la consommation et la destruction de l’autre au profit de sa seule jouissance.

L’INVESTISSEMENT DES RÉSEAUX SOCIAUX
AU DÉTRIMENT DES RENCONTRES RÉELLES

Dans les villes les personnes sont souvent connectées aux réseaux sociaux dans les espaces publics.

Dans les espaces publics urbains, les personnes sont souvent connectées aux réseaux sociaux sur leurs mobiles.

Les temps passés sur les réseaux sociaux sont plus importants que les temps passés à des rencontres réelles, reléguant en réalité l’individu à la solitude. L’éventail du choix, la possibilité de ne s’investir que superficiellement et sur une durée brève, sont privilégiés. Du fait du rythme intensif de la vie quotidienne, surtout dans les grandes villes, les personnes rentrent fatiguées le soir. Elles ont besoin de se reposer et de se détendre chez elles. Elles ont donc moins de temps pour sortir et se rencontrer en semaine. Le week-end, les jeunes ou les célibataires sans enfants sortent. Les couples avec enfants rencontrent d’autres familles le week-end lors de repas. Du fait du temps passé par chacun à s’occuper de son travail ou de ses enfants, les amis ne se voient qu’occasionnellement. Les échanges qui avaient lieu auparavant au téléphone sont également moins fréquents. On a tendance à passer par des échanges écrits sur messagerie. A l’intérieur même des familles, chacun se retrouve souvent occupé sur son écran sans partager d’activité. Les enfants jouent à des jeux vidéo, les adultes regardent une série, les jeunes échangent sur les réseaux sociaux.

LE NARCISSISME AU DEVANT DE LA SCÈNE

Femme élégante faisant du shopping

La France est admirée pour ses produits de luxe.

La société place le narcissisme au-devant de la scène. Dans ce système, il existe une hiérarchie sociale, qui n’attribue pas la même valeur à chaque personne. La valeur qui est attribuée par la société à une personne est fonction de ce qu’on nomme sa «réussite sociale », à savoir : son statut professionnel, ce qu’elle gagne, les biens qu’elle possède, sa capacité à se mettre en scène via les images et l’expression verbale et à en obtenir de la popularité. Les valeurs de générosité, d’affection, d’amour, de compassion, d’attention aux autres, de partage, d’humilité, ne sont pas celles qui sont valorisées. Les talents singuliers sont reconnus, à condition qu’ils soient monétisables. Le talent d’un artiste, s’il ne devient pas populaire, donc susceptible de produire de l’argent, n’est pas reconnu. L’image de soi est primordiale. Il s’agit de se mettre en scène pour se présenter sous un jour positif afin d’acquérir toujours davantage de popularité. Mais il s’agit d’une image factice qui dissimule les failles inévitables que chaque personne présente. On reçoit une injonction inconsciente de présenter  un moi fort, conquérant. Cette contrainte permanente peut induire le sentiment intime contraire de ne pas se sentir à la hauteur et être source de dépression. Le fait de ne pas pouvoir partager cette impression par peur d’être marginalisé est une souffrance supplémentaire.

LA VALORISATION DE LA COMPÉTITION

Une course d'athlétisme

Dans le sport, la vitesse est valorisée.

La compétition est encouragée dès le plus jeune âge. Dans ce système social, on transmet dès leur enfance aux personnes, que pour avoir une place et être reconnu, il faut être plus fort que l’autre. On ne transmet pas l’idée que chacun peut avoir une place différente car il est unique. Il s’agit de faire des clones, remplaçables, seulement au service de la rentabilité des entreprises. Est récompensé, par un statut professionnel supérieur, par de l’argent, celui qui rapporte le plus d’argent à l’entreprise, ou celui qui est capable de dominer l’autre pour prendre plus de responsabilité. La valeur des personnes en définitive est monétisable. Aussi, s’agit-il d’apprendre tous les moyens de savoir se vendre, en renvoyant une bonne image de soi, à travers internet et les réseaux sociaux. On se transforme en produit marketing avec une image de marque, un logo. Dans la société, il existe ceux qui peuvent se montrer fiers de leur réussite sociale, et les laissés-pour-compte, qui se sentent rabaissés et humiliés.

EN CONCLUSION

Les conséquences psychologiques de la société de consommation sont les suivantes :

  • une fatigue nerveuse importante due au rythme de vie et aux écrans
  • beaucoup de stress et d’anxiété
  • des dépressions quand le sujet est épuisé, quand il se sent trop seul, pas à la hauteur, ou qu’il ne trouve pas de sens à sa vie
  • un sentiment de solitude et de manque affectif pour beaucoup
  • face aux manque de représentation symbolique, une souffrance psychique qui se manifeste souvent par le corps : tensions, douleurs, surpoids, addictions
  • un manque d’estime de soi avec le sentiment de ne jamais être assez à la hauteur
  • l’impression de ne pas se sentir vivant

Face à leur souffrance, les personnes cherchent différentes formes de compensations :

  • une hyperstimulation visuelle au premier plan, auditive, motrice
  • des addictions : alimentation, drogue, alcool
  • des sensations extrêmes via des images de violence, des conduites sexuelles extrêmes

Ce système social occasionne donc des dégâts psychologiques très importants. Il est vital que les personnes puissent prendre conscience des effets du mode de vie actuel sur leur équilibre psychique, qu’elles puissent s’en distancier, prendre le temps de se retrouver face à elles-mêmes et à leurs aspirations réelles, et choisir un mode de vie qui leur convient pour se sentir mieux dans leur peau. Il est également vital que les personnes prennent le temps de se rencontrer, d’échanger, pour refaire du lien social et retrouver un équilibre affectif.

Une psychothérapie aide les sujets à réaliser ce travail de conscientisation et à retrouver la liberté de se réaliser en dehors des modèles sociaux qui le conditionnent et barrent l’accès à ses aspirations véritables.

Irène BENNOUN, août 2019