DEUX MOI, Cédric Klapisch

UN FILM EMBLÉMATIQUE
DE LA SOLITUDE DE LA VIE PARISIENNE

Affiche du film « Deux Moi » de Cédric Klapisch

Rémy et Mélanie ont trente ans et vivent dans le même quartier à Paris. Elle est chercheuse et timide. Elle subit une pression dans son travail pour communiquer sur ses résultats afin de renvoyer une bonne image de sa société et de rendre l’entreprise plus rentable. Il travaille pour une hotline dans un espace où une multitude d’employés répondent au téléphone dans une grande salle, assis en rangs d’oignons derrière des rangées de longues tables. Rémy et Mélanie vivent une vie réglée au rythme de la routine de vie parisienne : métro, boulot, dodo.  Ils vivent cloisonnés dans un petit appartement. Ils sont tous deux complètement « à plat » : elle dort sans cesse, il souffre d’insomnies. Ils voient rarement leurs amis, avec qui ils échangent le plus souvent par messages écrits. Ils sont célibataires. Elle multiplie les rendez-vous ratés sur les réseaux sociaux pendant qu’il peine à faire une rencontre. Tous deux ont des visages graves, ils ne sourient et ne rient pratiquement jamais.

Sophie et Rémy ne se rendent pas compte du côté morose de leur vie. Quand le médecin que Rémy va voir pour ses insomnies lui demande si « ça va », il répond « ben oui » -sous-entendu :  j’ai un travail, un logement et des amis, donc je n’ai pas de raison d’être malheureux. En effet, tous deux mènent une vie considérée comme normale, en regard de la vie des autres parisiens.

Ce film est emblématique de la solitude de la vie parisienne, à une époque hyper connectée où l’on pense pourtant que se rencontrer devrait être plus simple. Il se dégage du film une atmosphère déprimante et étouffante. La vie manque de relief et d’énergie : routine des mêmes scénarios qui se répètent de jour en jour, des mêmes espaces étriqués où l’on vit enfermé autant au travail que chez soi, lumières grises du ciel et des immeubles parisiens, visages lisses dénués d’expressivité, corps figés dénués de vie, sujets anesthésiés et gelés. La vie coule inodore, sans saveur, plombante. On se meurt à petits feux. Klapisch parvient très bien à nous faire éprouver ce malaise tout au long du film, qui vient réveiller ce malaise bien réel, si soi-même on a fait l’expérience de ce style de vie dans la capitale. On se sent oppressé tout au long du film, avec une envie de fuir au plus vite. Mais le réalisateur ne laisse pas de porte de sortie pendant le film. Il évoque seulement des palliatifs : animal de compagnie pour pallier au manque de tendresse, psychanalyste pour partager son mal-être.

C’est l’épicier oriental du quartier, chez qui ils vont tous les deux faire leurs courses, qui va briser leur solitude à la toute fin du film. Il  leur conseille de se rendre à un cours de kompa, danse haïtienne en couple, donné par son cousin. C’est dans ce cours de danse, qu’ils vont pouvoir enfin se rencontrer et vivre une histoire d’amour.

C’est donc la solitude qui est au coeur du film et l’incapacité à se rencontrer, dont découle un vécu dépressif chez tout-un-chacun. Klapisch pose la question : pourquoi les gens sont-ils dans l’incapacité d’aller les uns vers les autres ? Pour lui, la solitude est le fruit de la société actuelle : déshumanisation du travail, enfermement dans la routine et dans des espaces étriqués, anonymat de la grande ville. Les individus ne sont pas seulement malades de leur histoire personnelle, mais aussi, pour une grande part, de la société.  Ainsi le psy ne peut soigner en totalité son patient car il ne suffit pas de sortir de sa névrose pour être heureux. Mais il peut également lui donner un coup de pouce pour se réveiller et sortir de la routine, aller à la rencontre de l’autre.

Ce n’est pas un hasard si les cours de danse de salon rencontrent un grand succès à Paris. Ce sont des espaces où hommes et femmes peuvent, se rencontrer, se toucher, partager de la tendresse, sans qu’il y ait nécessité qu’un rapport sexuel existe. La danse peut également déboucher sur une rencontre sexuelle si le courant passe. Dans ce contexte, en effet, la rencontre est physique et les deux partenaires peuvent sentir s’ils ont envie d’aller plus loin. Dans les rencontres virtuelles, les partenaires se basent d’abord sur l’image qu’ils se font de l’autre, sa représentation mentale, via la photo et l’auto-portrait, puis les échanges écrits. Et il existe souvent une disjonction entre la représentation qu’on se fait de l’autre avant de le rencontrer et l’impression qu’il nous donne lorsqu’on se trouve en sa présence. Si donc, les sites de rencontre donnent la possibilité d’une infinité de rencontres, ils ne garantissent pas plus de tomber sur une personne qui correspond à ses attentes. Le risque est de s’y perdre et de se décourager du trop-plein de rencontres décevantes. La rencontre, via des personnes de l’entourage, elle, suppose des connexions cachées dont on ne comprend pas les ressorts mais qui ont du sens. Qu’est-ce qui fait que l’épicier du quartier fait entrer en relation Rémy et Mélanie, si ce n’est son inconscient qui lui dicte que ces ceux-ci ont besoin de faire une rencontre et qu’ils pourraient bien s’entendre ? Il y a des personnes qui sont là pour servir de passeurs à d’autres et semer leurs vies d’interconnexions. Mais ces interconnexions sont réelles et font sens car elles passent par un ressenti, au contraire des connexions internet qui sont elles virtuelles et passent par des représentations mentales. Le conseil serait donc d’être ouvert les uns aux autres pour s’entraider à faire de belles rencontres. Certains pourront passer le cap seul, pour d’autres, un psy pourra leur donner un coup de pouce.

Irène BENNOUN, octobre 2019